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L’expression de la violence dans la poésieL'enfant avait reçu deux balles dans la tête. Le logis était propre, humble, paisible, honnête; On voyait un rameau bénit sur un portrait. Une vieille grand'mère était là qui pleurait. Nous le déshabillions en silence. Sa bouche, Pâle, s'ouvrait; la mort noyait son oeil farouche; Ses bras pendants semblaient demander des appuis. Il avait dans sa poche une toupie en buis. On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies. Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies? Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend. L'aïeule regarda déshabiller l'enfant, Disant:- Comme il est blanc! approchez donc la lampe! Dieu! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe! Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux. La nuit était lugubre; on entendait des coups De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres. - Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres, Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer. L'aïeule cependant l'approchait du foyer Comme pour réchauffer ses membres déjà roides. Hélas! ce que la mort touche de ses mains froides Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas! Elle pencha la tête et lui tira ses bas, Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre. - Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre, Cria-t-elle! monsieur, il n'avait pas huit ans! Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents. Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre, C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre A tuer les enfants maintenant? Ah! mon Dieu! On est donc des brigands! Je vous demande un peu, Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre! Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être! Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus. Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus. Moi, je suis vieille, il est tout simple que je parte; Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte De me tuer au lieu de tuer mon enfant! - Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant, Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule: - Que vais-je devenir à présent toute seule? Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui. Hélas! je n'avais plus de sa mère que lui. Pourquoi l'a-t-on tué? je veux qu'on me l'explique. L'enfant n'a pas crié vive la République. - Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas, Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas. Vous ne compreniez point, mère, la politique. Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique, Est pauvre et même prince; il aime les palais; Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets, De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve, Ses chasses; par la même occasion, il sauve La famille, l'église et la société; Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été, Où viendront l'adorer les préfets et les maires, C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand'mères, De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps, Cousent dans le linceul des enfants de sept ans. Jersey, 2 décembre 1852. EXPLICATION : Recueil de poèmes satiriques. Ce poème est particulier : témoignage d’une « chose vue » au cours de la répression du 2 Décembre 1851 (coup d’Etat). Prolongement tragique d’une scène de rue, deuil cons »cutif à une exécution sommaire. Pathétique. Vision théâtrale ou picturale d’une grand-mère qui a perdu son petit-fils. 3 parties : v 1 à 25 : toilette funèbre v 26 à 48 (ou 46) : déploration de l’aïeule v 49 (ou 47) à 60 : discours du poète-témoin. Appel à la compassion. Condamnation de Napoléon III. Particularités : nombreuses marques de discours directà plus d’intensité au drame. Majuscules ironiques (55). Nombreux points d’exclamation et d’interrogationàtristesse + colère. Strophe conclusive détachée. I) Le Tableau (La scène) 1°/ Où et Quand ? · 2 décembre 1852àdate anniversaire du coup d’Etat, date exacte du rétablissement de la dignité impériale. La répression du 2 décembre 51 continue (cf. 16, 17). · Paris, ville martyre du coup d’Etat ; enfant tué rue Tiquetonne ; la scène a lieu dans le logis de la grand-mère Logis populaire : image valorisante du peuple au vers 2. Accumulation d’adjectifsàcoup d’Etat = crime contre le peuple. Allusion à la piété populaire au vers 3, à la simplicité des mœurs au vers 19 (drap blanc = pureté). Le peuple n’a rien fait (vers 6). Le décors simple et dépouillé s’oppose aux fastes napoléoniens. 2°/De qui parle-t-on ? · Témoins muets mais agissant : ils ont ramassé le corps, l’ont transporté et le déshabille. · L’enfant : il s’appelle Boursier, il a 7ans ½ à c’est l’innocence martyrisée (cf. vers 1 : ton grave, pathétique, solennel ; vers 5 et 6 : bouche ouverte comme une prière, un appel, un baiser ; vers 7 : la faiblesse ; vers 8 : candeur enfantine). C’est un garçon des rues, un gavroche. Peut être insolent mais bon, dévoué, serviable, bon élève. Contraste paix/violence à images naïves (vers 9 à 11). Il représente la vie, la nature (opposition aux richesses mal acquises du prince). · L’aïeule : incarnation du peuple et de ses vertus. Femme humble et bonne = qualités qui font défauts aux grands : compassion (cf. vers 13,14 et 15 : image de la piéta). Au début muette, elle prend la parole progressivement. Ses 1ers mots = douleur, affection. A partir du vers 26 : véritable discours = tristesse et colère (30 à 39). Femme éloquente (étonnant) : mots simples et maladroits avec des mots et des tournures savantes. Interprétation : - Discours femme = discours du poète. - Femme = symbole, sainte admirable d’abnégation (37 à 39). - Colère toujours naturelle ; indignation de + en + perceptible. - Elle devient le porte-parole d’un peuple martyrisé (30 à 32 et 34, 35). - Meurtre anonyme mais le peuple n’est pas dupe : coupable = « Monsieur Bonaparte » (v 38), « monsieur » : maladresse émouvante, respect pour le nom. - Indignation communicative (cf. pleurs vers 4 et 40). Femme bouleversante dans sa détresse et sa solitude (42 à 44). - Vers 45,46 : demande d’explication, intervention du poète sollicité. « Vive la république » est une expression ambivalente : elle déclenche la prise de parole car c’est le cri du cœur d’Hugo. II) Le discours du poète Opposant récent au princeàplus déterminé. Il a assisté à cette scène : souvenir personnel. Intervention savamment préparée. - 1ère strophe (= deux 1ères parties) : il insiste sur l’attitude des témoins : ils se recueillent (vers 5, 18 et 19) et sont solidaire du peuple (vers 18, 19) ; Leur silence laisse place à la plainte, mais la femme n’est pas capable d’énoncer les causes du drame. C’est le rôle d’Hugo (elle l’interpelle 3 fois : vers 27, 29 et 36). - 2ème strophe : le poète supplée à la parole défaillante du peuple ; · il s’adresse à une personne préciseàdimension universelle du débat · Discours différé (= polémique) ; cf. date du manuscrit + discours détaché. · Antiphrase ironique donne vie à la scène : panorama des valets du pouvoir, description des plaisirs insolents, image de la cour. Langage savant + références idéologiques codées (vers 54, 55 : slogan de campagne ; vers 56 : synecdoque ; titres ironiques des livres des Châtiments · Ton persifleur · Témoignage à valeur d’exemple. · Procédé de généralisation (présent de vérité générale à enseignement pour le peuple) · Hugo = conscience vivante. Récit largement remanié qui doit être lu dans la conclusion de Napoléon le petit (I, 3). D’autres proscrits de Bruxelles racontent l’événement mais ce poème est le plus réaliste, le plus émouvant des Châtiments. Emotion réelle et si forte que l’histoire est racontée dans deux autres poèmes : « A l’obéissance passive » (II, 7) et « Saint-Armand » (III, 16) |
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